L’usine Belin menacée de fermeture
Comme annoncé dans notre dernier numéro, Mondelez International a déclaré vouloir cesser ses activités sur le site castel d’ici fin 2025.
Selon le groupe américain, l’usine aurait besoin d’investissements pour moderniser son infrastructure et ses équipements dans les prochaines années et il ne serait pas possible, par ailleurs, d’y construire de nouvelles lignes de production. Les volumes actuellement produits par le site de Château-Thierry et ses faibles perspectives de productivité ne lui permettent pas non plus d’être compétitif au sein du réseau de production européen du groupe.
Par ailleurs, Mondelez explique avoir engagé une réorganisation plus large de sa production en France : une grande partie des activités de l’usine castelle serait transférée sur le site de La Haye-Fouassière, en Loire-Atlantique, spécialisé dans la production de biscuits secs. La production de certaines références, aujourd’hui élaborées dans l’Aisne, serait également déplacée ailleurs en Europe, dans des usines du groupe qui fabriquent des biscuits similaires.
Les élus du territoire révoltés
Parmi les élus, cette déclaration brutale a fait figure d’onde de choc. « Cette annonce est à l’opposé de ce qui avait été dit par la directrice générale France il y a encore quelques mois. Venue fêter les 90 ans du site, elle avait réaffirmé un maintien de l’activité et la poursuite des investissements. Cette décision est d’autant plus incompréhensible que le groupe a construit très récemment de nouveaux quais de chargements sur le site situé sur l’île avec une réorganisation de l’usine et l’installation de nouvelles machines » explique le maire castel, Sébastien Eugène. « C’est un coup dur pour les salariés et la municipalité se tiendra à leurs côtés dans toutes les actions qu’ils souhaiteront entreprendre pour s’opposer à cette fermeture » souligne-t-il.
De son côté, le président de la Communauté d’Agglomération de la Région de Château-Thierry (CARCT), Étienne Haÿ a déclaré « qu’annoncée de la sorte, cette décision est scandaleuse. Et puis, cela intervient au moment où il est question de réindustrialiser la France ».
Enfin, le député Jocelyn Dessigny a également réagi à la fermeture de l’usine. « Ma première pensée va aux 61 employés permanents et aux dizaines d’intérimaires qui vont se retrouver sans emploi si rien n’est fait. Le temps semble manquer et la surprise de cette annonce tombe tel un couperet. Depuis plusieurs mois, je tente d’entrer en contact avec la direction locale qui jusque-là est restée sourde à mes appels. De ce fait, je ne connais pas encore les motivations qui l’ont poussée à fermer le site historique de Château-Thierry. Ni la rentabilité du site ni la vétusté des locaux ne semblent à priori être la cause de cette décision, il est plus vraisemblable de croire pour le moment que la volonté d’augmenter les profits soit la véritable motivation de la direction nationale de l’entreprise ». Lors des questions au gouvernement du 7 février, le parlementaire a interpellé le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire sur le sujet. Ce dernier a répondu que le député serait intégré au groupe de travail pour trouver une issue favorable.
Retour sur l’histoire de cette entreprise
Alors âgé de 25 ans, Gustave Belin ouvre une gaufretterie, la manufacture des biscuits Belin, à Bagnolet (93) en 1902. À la veille de la Première Guerre mondiale, la société Belin Frères compte 3 fours et 93 ouvriers. Les biscuits sont jusque-là un produit de luxe, mais sont utilisés durant 14-18 comme pains de guerre pour leur valeur nutritive au profit des soldats. Ainsi, le produit se démocratise dans les années 1920.
Devenue la Société Anonyme des Biscuits Belin, l’entreprise subit malgré tout une crise à partir de 1925 et termine en faillite en 1929. Mais Gustave Belin n’a pas dit son dernier mot : en 1931, il est attiré par la petite ville de Château-Thierry qui compte alors 9000 habitants. En effet, la cité castelle est entourée des matières premières utilisées pour la fabrication des biscuits, notamment les céréales, le lait et les betteraves sucrières. Avec le soutien de son contremaître Raymond Dallemagne, il décide donc de s’implanter dans un ancien garage situé rue Henri Petit. Au fur et à mesure des années, l’entreprise prend une certaine ampleur et en 1939, année du décès de Gustave, elle compte quelque 1000 ouvriers. Son fils, Roger Belin, prend alors la direction de la biscuiterie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine refuse de se mettre au service de l’ennemi et oriente sa production vers la production de biscuits riches en vitamines destinés à lutter contre les carences de l’alimentation et de pains de guerre. Puis, à la Libération, l’entreprise reprend son activité normale : elle connaît alors un fort développement et devient le premier employeur de Château-Thierry dans les années d’après-guerre.
En 1961, une deuxième usine ouvre sous le nom d’U1. Deux ans plus tard, Belin lance la production de son produit phare, le Pépito. Diversifiant sa production avec les biscuits apéritifs, elle devient la deuxième biscuiterie française et emploie 1900 salariés en 1972.
Toutefois, subissant les effets de la concurrence et devenant un lieu moins adapté à la production, U1 est contrainte de fermer au début des années 1990, mais la manufacture originelle rue Henri Petit perpétue son activité.
La friche U1 se transforme progressivement en lieu d’arts et de culture et, en accueillant des structures telles que la salle de concert La Biscuiterie, garde en elle le souvenir de son activité passée. Aujourd’hui, malgré l’annonce de sa fermeture, Belin reste un symbole bien vivant du savoir-faire et de l’aventure industrielle de Château-Thierry.
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